AMENAGEMENT DE MARAIS

QueIIe option choisir?

ZONES OUVERTES OU PLATIERES AMÉNAGEES?

Telle est la question, lorsque l’on décide d’aménager un marais pour les bécassines. Voici les mérites comparés en terme de fréquentation et de comportement

L'entretien des zones humides attirant les bécassines se faisait naguère par l’intermédiaire des agriculteurs, surtout les éleveurs de bovins. Ceux-ci fauchaient les marais pour éviter la prolifération des joncs et roseaux. Et leurs bestiaux, en densité aussi élevée que possible, assuraient l’entretien de platières, ameublies dans leurs zones de piétinement. En plus, les déjections animales constituaient un apport de matières organiques généra­teur d’insectes et de vers fort appréciés des oiselles.

Lorsque les bovins quittèrent, pour d’incontournables rai­sons économiques, les zones humides pour des herbages de meilleure qualité, le problème de l’aménagement des marais se posa. Pour éviter que les zones humides ne se ferment définitivement aux oiseaux recherchant un terrain dégagé pour y véroter, les chasseurs réagirent. C’est ainsi que les premiers aménagements cyné­gétiques de grande ampleur des zones humides virent le jour dans les années 70-80.

Le schéma d’aménagement pour les bécassines à cette époque était le suivant: un damier de petites platières, de quelques dizaines à quelques centaines de mètres carrés, fau­chés, brûlés et souvent ameu­blies et retournées au rotavator dans un environnement de roseaux les isolant les unes des autres.

Comme le travail se faisait souvent au motoculteur, seul matériel adapté à cette époque aux terrains tourbeux, il n’y avait guère moyen de faire autrement. De plus, on pouvait penser que les barrières et abris fournis par l’épaisseur des roseaux favorisaient l’approche du gibier par le chasseur invisible.

Et les chiens d’arrêt?

On comprend aisément que la quête des chiens d’arrêt ne puisse se développer dans un tel damier et que les seuls auxi­liaires utilisables dans un tel en­vironnement sont les retrievers. Le chasseur à la botte accom­pagné d’un bon labrador trouve son bonheur en surprenant les bécassines au détour des pla­tières, mais l’amateur de setter ou d’épagneul recherche le même gibier dans un autre type de territoire. C’est ainsi qu’avec l’apparition de tracteurs plus puissants mais adaptés aux terres inondées, comme ceux utilisés pour la riziculture, les bécassiniers qui désiraient dégager de grandes surfaces pour libérer leurs chiens ont pu ouvrir au maximum leurs marais. Avec quelques amis, nous sommes ainsi passés, grâce au progrès technique, de la succession de platières de la plus grande taille possible à la coupe quasi totale du marais, qui rappelle alors, par son aspect la prairie humide des bovidés dantan.

Ce retour en arrière est très apprécié par nos chiens qui peuvent y montrer leurs qua­lités de trouveurs de gibier car la présence éventuelle des oiselles n’est plus limitée aux seules places visiblement matérialisées. Après un bon nombre d’années d’expérience de notre type d’aménagement ouvert, nous pouvons en tirer quelques conclusions intéres­santes dont l’une sur la com­paraison de fréquentation de nos territoires a chien d’arrêt avec celle de territoires plus fermés, que nous qualifions du type retrievers.

Deux méthodes

Nous avons étudié les résultats obtenus par la mise en œuvre des deux types d’aménagement sur deux territoires voisins, de même nature et soumis à une pression de chasse identique.

On procède par gyrobroyage de la quasi-totalité de la végétation et ceci, au minimum deux fois par saison. La première coupe intervient à partir du début de juillet et la seconde dans le courant de septembre après la pousse estivale. Comme on progresse lentement, il faut broyer une troisième fois les parties travaillée au départ, où la végétation a eu le temps de se développer à nouveau. Le gyrobroyage fréquent limite la prolifération de joncs et aussi ne laisse au sol que peu de matière organique En broyant une seule fois et tardivement, on laisserait au sol trop de végétaux, lents à se décomposer et gênants pour le passage du bec des limicole enquête de nourriture. Le brûlage ultérieur de cette masse est une bonne solution mais pas toujours réalisable.

Les passages répétés des tracteurs créent une foule de possibilités de nourrissage pour les bécassines, en combinant l’action du broyeur et les marques des pneus dans les en­droits fangeux. Les mini ornières ainsi créées sont utilisées au gré des oiseaux, en fonction des niveaux d’eau et de la force et de la direction des vents. C’est très important pour le travail des chiens et l’intérêt de la chasse: il leur faut à chaque sortie se remette en cause et explorer au mieux le territoire, en fonc­tion des circonstances, pas se contenter de passer d’une pla­tière à une autre. C’est ainsi que l’on voit se forger l’expérience des meilleurs bécassiniers, dans la nouveauté et la difficulté.

Quant à la zone “retrievers”, selon le principe des successions de platières décrit plus haut, on a aménagé plusieurs chemins bordés de carrés de superficie réduite, disposées en quinconce. Les carrés sont passés au gy­robroyeur plusieurs fois, en même temps que les espaces réservés aux chiens d’arrêt.

La fréquentation des marais a été satisfaisante en 2001-2002 pour les retrievers comme pour les chiens d’arrêt, avec ce cons­tat: au cours des périodes migratoires, les densités de bécassines sont élevées. Dans le marais ouvert pour les chiens d’arrêt, la répartition des oiseaux est régulière : on en lève un peu partout, isolés ou par deux ou trois en général (les microplatières faites par les roues de tracteurs ne laissent pas la place aux groupes importants). La densité ramenée à l’hectare est, en général, au moins aussi élevée dans les zones “retrievers”,plus fer­mées, car les platières sont de taille suffisante pour re­celer des bandes de dix ou douze individus.

 Comportement

Contrairement à ce que l’on pourrait penser c’est dans les zones ouvertes que l’on rencontre sinon plus d’oiselles, du moins un gibier beaucoup plus complaisant. En hiver, la situa­tion moyenne est la suivante: les bécassines sur la partie re­trievers sont le plus souvent re­groupées dans les platières favorables en une ou plusieurs bandes, ultraméfiantes, dégageant au moindre bruit. Une bande entraîne l’autre et le ma­rais se vide avant le coup de feu, même en marchant délica­tement. En terrain ouvert, avec des chiens quêtant assez loin, nous avons toujours droit à des arrêts utiles: les oiseaux laissent le chasseur approcher à portée de fusil avant de s’envoler. Ce comportement s’explique logi­quement: l’aménagement ne convient pas aux bandes qui se trouvent toujours en position de défense supérieure par rap­port à une isolée ou un couple. Ensuite, en milieu fermé, ne pouvant voir l’arrivée du prédateur, les oiselles se conditionnent au bruit: le moindre cla­potis engendre le seul réflexe de défense possible, s’envoler au plus vite. En terrain dégage, l’ouïe est moins sollicitée car le gibier peut voir l’ennemi, il se trouve donc beaucoup moins en état de stress. Si le chasseur se situe une centaine de mètres derrière son chien, sa présence ne constitue pas un danger pour l’oiselle qui focalise son attention sur le quadrupède, prédateur bien moins redou­table pour une habituée des lieux que l’homme. Avec un chien efficace, l’arrêt est pris là où il faut: assez loin du gibier pour ne pas le faire voler, et assez près pour le dominer et le fixer au sol, la bécassine tapie ne quittant plus alors des yeux l’animal immobile. Le chasseur peut alors approcher, en évitant de se montrer trop vite, con­tournant sa proie obnubilée par le chien.

Pour conclure, nous avons fait quelques essais d’approche dans les deux territoires, sans chien cette fois. Du mois de dé­cembre jusqu’à la fermeture fin janvier, nous avons presque tou­jours constaté que la distance de fuite des bécassines devant l’homme était supérieure en milieu fermé qu’en milieu ouvert. 10 ou 20 cm d’herbe suffisent à abriter du vent un oiseau mais ne l’empêchent pas de voir arriver le danger, et le rassurent. Deux mètres de ro­seaux l’abritent peut-être mieux, mais décuplent une acuité au­ditive qui ne lui permet pas de localiser son ennemi aussi bien qu’à l’oeil et l’oblige à fuir au plus tôt, principe de précaution oblige! C’est à la mode...

Jean-PauI Koumchasky