La bécasse affole Matignon
Jospin annule, puis ressuscite un arrêté sur la chasse.
Par Paul QUINIO, Didier HASSOUX
30 janvier 2002
 
La chasse aux électeurs est ouverte. Le gouvernement hésite entre les écologistes et les chasseurs. Lundi, Lionel Jospin adressait un signe aux seconds. Conformément aux directives européennes et aux arrêts du Conseil d'Etat, il renonçait à prolonger en février la chasse de nombreux oiseaux migrateurs. Le Premier ministre faisait juste une entorse à ce vert principe: la chasse aux pigeons ramiers et bécasses des bois étaient prorogées jusqu'au 10 février. Le ministre (Vert) de l'Environnement Yves Cochet, après quarante-cinq minutes d'entretien avec Lionel Jospin, se disait satisfait par l'arbitrage. Quelques heures plus tard, pourtant, l'arrêté concernant les bécasses n'existait plus. Olivier Schrameck, directeur de cabinet du Premier ministre, stoppait nuitamment sa publication au Journal officiel. L'ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel a craint les foudres du Conseil d'Etat.

Hier, au petit-déjeuner hebdomadaire de Matignon, en présence de Schrameck, François Hollande dit à Lionel Jospin tout le mal qu'il pense de cette initiative. Le premier secrétaire du PS détaille «les limites juridiques, les avantages et les risques politiques» à la non-publication de l'arrêt bécasse. Au même moment, à l'Assemblée nationale, des députés socialistes «font part de leur émotion». Quelques-uns d'entre eux ­ dont Vincent Peillon (Somme) et Pierre Ducout (Gironde) ­ se réunissent dans le bureau de leur président, Jean-Marc Ayrault. Hollande les rejoint et téléphone à Jospin. Le patron du PS plaide non pas pour «céder aux Verts mais céder au droit». Le Premier ministre est vite convaincu par l'argumentaire de ses amis. Il ordonne à ses services de ressusciter l'arrêt retoqué la veille au soir.

Il devait être publié ce matin. Yves Cochet l'a confirmé, hier après-midi, à Libération. Pour justifier le bogue de Matignon, le ministre dit avoir cherché «une sécurisation à la fois scientifique et juridique. Pour, d'une part, avoir les meilleures garanties que les chasseurs puissent exercer leur loisir. Et, d'autre part, qu'il n'y ait pas des recours susceptibles d'annuler très rapidement ces arrêtés». Et de préciser: «Evidemment, tout ceci sera rediscuté tous les ans en fonction du nombre réel des espèces.» Vivement l'année prochain

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  CHASSE DES MIGRATEURS
Bécasse : jusqu'au 10
Le gouvernement a finalement pris l'arrêté autorisant la chasse de la bécasse jusqu'au 10 février.
Il ne sera pas attaqué
Par : PIERRE VERDET


Encore dix jours de plaisir pour les bécassiers
(Photo P. V.)

Une décision de Matignon a failli exacerber un peu plus les passions sur le dossier chasse. Lundi, Yves Cochet, ministre de l'environnement, annoncait qu'il prenait deux arrêtés autorisant jusqu'au 10 février la chasse de la palombe, à raison de cinq oiseaux par jour et par chasseur et de la bécasse, avec trois oiseaux par chasseur au cours de cette période.
Les chasseurs de migrateurs, glacés par la douche qui venait de balayer la chasse de l'oie, des canards et des grives de février, se consolaient comme ils pouvaient, en remarquant qu'un bon dossier scientifique présenté par le Club national des bécassiers (CNB) et démontrant que ces migratrices n'étaient pas en phase de reproduction à cette époque, leur permettrait, au moins, de lever encore quelques dames au long bec pendant dix jours.
Mais, patatras !, en pleine nuit, le ministère décidait de changer le fusil d'épaule et d'annuler l'arrêté. « Au vu de l'arrêt du Conseil d'Etat du 25 janvier, il est apparu que le projet d'arrêté prolongeant la bécasse des bois jusqu'au 10 février, initialement envisagé, présentait un risque sérieux d'annulation », annonçait-on avenue de Ségur. En réalité, c'était à Matignon où pourtant les arbitrages avaient été rendus l'après-midi que la décision venait d'être prise par le secrétaire général du gouvernement, Jean-Marc Sauvé. Estimant qu'une attaque de cet arrêté conduisait à sa suspension immédiate par le Conseil d'Etat, il avait décidé de ne pas courir le moindre risque.

PROTECTEURS EN SOUTIEN
C'était simplement oublier qu'un véritable consensus s'était dégagé autour du dossier du CNB, à la qualité remarquée, même par les associations de protection. Des associations dont les dirigeants étaient très embarrassés hier. « Nous sommes totalement étrangers à cette décison de supprimer l'arrêté bécasse, affirmait Michel Métais, directeur de la LPO. Le travail du CNB est excellent, nous avons parfaitement senti que nous avions affaire à des chasseurs raisonnables. »
Pierre Athanaze, de France nature environnement, abondait dans le même sens. « Cette décision nous met en porte-à-faux, car nous n'avions absolument pas l'intention d'attaquer cet arrêté, mais de continuer à travailler avec des gens sérieux comme Jean-Paul Boidot, le président du CNB. Avec de telles personnalités, un dialogue constructif peut s'ouvrir alors qu'il est, jusqu'à présent, impossible avec la Fédération nationale des chasseurs, à cause de la surenchère absurde de CPNT. »
Jusqu'à Gérard Charollois, président de l'ASPAS, (Association de protection des animaux sauvages), qui affirmait hier : « Le ministre, pour une fois, nous a largement donné satisfaction. Pour positiver à notre tour, nous étions donc prêts à ne pas attaquer les dix jours de chasse à la bécasse, même si la clotûre générale au 31 janvier reste notre objectif. »
Il devenait difficile dans ces conditions que le gouvernement ne décide pas de revenir sur sa décision. Ce qui a été fait, hier soir, avec une annonce d'Yves Cochet affirmant qu'une « sécurisation scientifique et juridique » avait été faite et que l'arrêté bécasse paraîtrait ce mercredi au « J.O. »

CHASSE-GESTION
Une bonne nouvelle pour les bécassiers et leur président Jean-Paul Boidot qui avouait : « Je pense que c'est une reconnaissance de la chasse-gestion et de la chasse-éthique. Nous allons continuer à travailler, mais je suis persuadé que les chasseurs doivent apprendre à mieux gérer les espèces et, surtout, à toujours précéder l'événement, plutôt que de le subir. »
Mais pour les dirigeants cynégétiques, l'arrêté bécasse ne gomme pas tout. « Même si cet arrêté a été pris après d'incroyables péripéties, il n'en reste pas moins vrai que le gouvernement a fait le choix des Verts apaisés et des chasseurs en colère, affirmait hier soir Henri Sabarot, le président de la région cynégétique Aquitaine. Mais nous ne renoncerons pas à soutenir le principe d'une chasse durable durant le mois de février. Nous accueillons, avec beaucoup d'intérêt, la proposition du président de la République que soient désignés simultanément un diplomate auprès de Bruxelles ainsi qu'un pôle d'expertise scientifique, caractérisé par une excellence et une neutralité indiscutables, afin de trouver une issue pérenne à l'aventure pitoyable de la directive de 1979. »