Chasseurs et écologistes s'opposent devant le Conseil d'Etat
 
La haute juridiction administrative a examiné, vendredi 18 janvier, quatre requêtes en annulation du décret fixant les dates de la chasse au gibier d'eau et aux oiseaux migrateurs. La veille, le ministre de l'environnement, Yves Cochet, avait proposé un nouveau compromis.
 
Qu'il soit animé par l'intérêt ou simplement par le sens du devoir, Francis Lamy, commissaire du gouvernement au Conseil d'Etat, a une inépuisable connaissance de la nidification des canards, pluviers dorés et autres gibiers d'eau. Vendredi 18 janvier, le magistrat rendait ses conclusions, à la suite de quatre requêtes contestant la légalité d'un décret d'août 2000 fixant les dates de la chasse au gibier d'eau et aux oiseaux migrateurs. A l'origine de cette saisine, la Ligue de la protection des oiseaux (LPO), l'Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas) et le Rassemblement des opposants à la chasse (ROC), mais également l'Union nationale des fédérations départementales des chasseurs (UNFDC), qui contestaient le décret pour des raisons diamétralement opposées. Pendant une heure et demie, M. Lamy a brillamment jonglé avec le droit et les multiples études scientifiques, souvent contradictoires, traitant des périodes de reproduction des oiseaux.
Une question d'expérience : M. Lamy a rappelé que le Conseil d'Etat a déjà statué deux cents fois en dix ans sur la chasse, source d'un interminable litige. Le commissaire du gouvernement en était, pour sa part, à sa troisième démonstration en deux ans sur les dates d'ouverture et de fermeture. Comme les deux fois précédentes, il parvenait à la conclusion que la chasse ne saurait être prolongée au-delà du 31 janvier sans contrevenir à la réglementation européenne. Il a rejeté l'idée de dérogations au-delà, sauf pour quelques espèces de tourterelles et de pigeons, qui ne feront qu'un maigre lot de consolation aux chasseurs.
Le Conseil d'Etat a mis sa décision en délibéré jusqu'au vendredi 25 janvier. En décembre 1999 et en mai 2001, la haute juridiction avait rejoint l'avis du commissaire du gouvernement et déclaré illégaux des textes qui prolongeaient la pratique cynégétique au-delà du 31 janvier. "Cette jurisprudence s'impose à vous et vous ne pourrez vous en écarter, sauf à susciter l'incompréhension et à contribuer par vos décisions à d'éventuelles condamnations en manquement de la France par la Cour [de justice] européenne", a estimé M. Lamy, rappelant que notre pays a déjà été condamné deux fois par les juges de Luxembourg sur ce point.
Les chasseurs ne se faisaient d'ailleurs que peu d'illusions, vendredi, à la sortie de l'audience, sur l'issue de la requête, même s'ils préféraient attendre le 25 janvier pour se prononcer. Le ministère de l'environnement se refusait, lui aussi, à tout commentaire. Mais, depuis un mois, Yves Cochet tente de trouver une solution négociée entre chasseurs et écologistes, persuadé que le décret d'août 2000, publié après le vote laborieux de la "loi chasse" par l'Assemblée nationale, sera déclaré illégal.
Le 19 décembre, les chasseurs ont déjà rejeté des propositions de dates qui leur avaient été soumises. La délégation a quitté au bout de treize minutes la réunion de conciliation organisée avec les associations de protection de l'environnement. Yves Cochet avait "regretté cette défection". "Je ne crois pas que ce soit dans l'intérêt de l'immense majorité des chasseurs", avait-il déclaré.
Jeudi, le ministre a formulé de nouvelles propositions, légèrement plus arrangeantes, afin que "la fermeture de la chasse se déroule de façon apaisée". L'UNFDC ne devrait se prononcer que mardi mais affiche déjà ses réserves. Persuadées d'avoir le droit de leur côté, les associations de protection de la nature s'agacent de devoir faire de nouvelles concessions. "Il est devenu évident que le gouvernement préfère servir les chasseurs, même et surtout quand ils refusent le dialogue", regrette Christophe Aubel, du ROC. L'Aspas a, elle, déjà annoncé qu'elle attaquerait toute tentative de compromis tendant à prolonger la période de chasse au-delà du 31 janvier. Le gouvernement se retrouve ainsi face à des positions inconciliables.
"Discuter pour quelques jours ou quelques espèces en plus ou en moins, c'est perdre son temps", estime Gilles Deplanque, directeur de l'Association nationale des chasseurs de gibier d'eau (Ancge).
CONTEXTE ÉLECTORAL
Les instances cynégétiques souhaitent que le gouvernement négocie directement avec Bruxelles un assouplissement de la réglementation européenne plutôt que de tenter de s'adapter à celle qui existe. Elles affirment que la Commission européenne se montre plus réceptive à leurs arguments que le ministère de l'environnement. Estimant que ce dernier leur est hostile, elles ont demandé également jeudi à Lionel Jospin de nommer un "M. Chasse" qui traiterait le dossier.
Les associations de protection de la nature accusent les chasseurs de vouloir envenimer la situation pour faire le lit de Chasse, pêche, nature et traditions (CPNT) lors des prochaines élections. La décision du Conseil d'Etat était initialement prévue à la mi-décembre, font-ils valoir, mais l'UNFDC a produit in extremis de nouvelles pièces qui ont conduit à un report d'un mois de l'audience. La décision du Conseil d'Etat n'interviendra donc que six jours avant la date fatidique du 31 janvier.
"Ce n'est pas de notre faute si une décision du Conseil d'Etat relance CPNT avant chaque échéance électorale", répond M. Deplanque. Mais CPNT ne cache pas, dans son bulletin interne, son souci de parvenir à 5 % des voix aux prochaines élections législatives, afin de bénéficier de la loi sur le financement des partis politiques. "Si les chasseurs ne peuvent pas chasser en février, ils le feront au moment des élections", prévient M. Deplanque.
Benoît Hopquin