Chasseur de palombes, Philippe Barbedienne refuse la guerre avec les écologistes

LE MONDE  19.01.02


Il fut un élève distrait. "Je passais mon temps à épier les vols d'oiseaux par la fenêtre de la classe", se souvient aujourd'hui Philippe Barbedienne. Au mois d'octobre, les bancs de l'école lui devenaient un calvaire. Comme beaucoup de garçons de la campagne girondine, le gamin avait contracté la fièvre bleue, cette passion pour la chasse à la palombe, laquelle traverse l'Aquitaine chaque automne, à l'époque de ses vols migrateurs.

A 13 ans, l'apprenti chasseur partait avec son père et s'essayait sur quelques grives, alouettes ou vanneaux. A 16 ans, l'âge légal du permis de chasser, il grimpait enfin dans une palombière, à Lerm et Musset, guettant de ce perchoir l'arrivée du pigeon au reflet bleuté. Les années ont passé, rythmées par ce rendez-vous, sans que l'envoûtement ne cesse, à 49 ans. "J'ai sacrifié ma vie professionnelle pour rester ici et assouvir ma passion", explique le dévot.

Pourtant, lors de la réunion avortée entre chasseurs et écologistes, organisée le 19 décembre 2001 par le ministère de l'environnement, l'homme figurait dans la délégation des protecteurs de la nature. Il n'avait pas de mots assez durs pour qualifier le refus de dialogue des représentants cynégétiques, qui ont quitté d'emblée la table des négociations. "Ils pratiquent la désinformation et attisent la colère pour quelques jours de chasse en plus ou en moins, avec des arrière-pensées politiques", estime-t-il.

Le groupe milite pour la gestion des espèces et un partage harmonieux de la nature avec ses autres usagers. Philippe Barbedienne accepte volontiers de remettre son fusil au râtelier le 31 janvier - une date qui hérisse ses pairs. "La chasse à la palombe est sacrée, mais c'est une tradition en octobre seulement, argumente-t-il. Je suis opposé à la prédation en février. A leur retour, les oiseaux sont fatigués et donc fragiles. Il faut les épargner pour qu'ils puissent assurer la reproduction."

Cette position et son appel pressant pour une trêve pendant la vague de froid qui a gelé les points d'eau de la région en décembre lui ont valu la marginalité. "Je me sens isolé parmi les chasseurs de mon village, c'est sûr, admet l'anticonformiste. Mais l'unanimisme affiché par le monde de la chasse n'est que de façade. Parmi les 60 000 adeptes du département, plusieurs milliers pensent comme moi, mais n'osent pas l'avouer. La chasse est aujourd'hui victime d'un sentiment obsidional."

Jadis, Philippe Barbedienne fut un de ces extrémistes qu'il fustige aujourd'hui. En 1969, il s'était révolté contre la limitation de la chasse à la tourterelle des bois - autre tradition régionale. Le braconnage a continué impunément et l'espèce est aujourd'hui menacée. "J'ai compris que les écologistes avaient raison", explique-t-il.

SAUVEGARDE DES GIBIERS

Le chasseur a également pris conscience, année après année, de la baisse des effectifs de palombes et rejette les études scientifiques qui voudraient démontrer le contraire. "Au milieu des années 1970, j'ai constaté cette évidence, affirme-t-il. Mon père me disait déjà : "Tu aurais vu ce qui passait il y a trente ans !" Bien sûr, la chasse n'est pas seule responsable. L'agriculture, en drainant des zones humides pour les transformer en cultures, a réduit l'habitat des oiseaux. Mais le nombre des palombières n'a cessé d'augmenter et la qualité des armes de s'améliorer."

L'affrontement entre chasseurs et écologistes semble un non-sens à celui qui revendique les deux étiquettes. "C'est une lutte fratricide, car les deux parties ont un intérêt commun : la sauvegarde des gibiers", estime-t-il. Et de regretter : "La chasse n'avait pas besoin de ce conflit, alors qu'elle est de plus en plus en porte-à-faux avec une société où la vie est sacralisée. Elle risque d'être encore moins bien comprise des autres citoyens."

B. H.