Deux chasseurs soupçonnés d'avoir participé à un massacre d'oiseaux mis en examen

LE MONDE | 18.12.01 | 13h31

 

 

SUR LES 1 600 CHASSEURS que compte la Brière, les "activistes" ne sont qu'une trentaine, bien connus des gendarmes de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), des services de la préfecture ou des gardes de l'Office national de la chasse. Depuis 1990, la justice les soupçonne d'être à l'origine d'une série d'exactions restées impunies, et d'être protégés par la "loi du silence"que le nouveau procureur du tribunal de Saint-Nazaire attribue tour à tour à la "complaisance" des habitants de Brière ou à leur "crainte des représailles".

Mais le 12 décembre, le silence s'est brisé pour deux d'entre eux, trahis par leurs armes.

Agés d'une cinquantaine d'année et décrits comme "deux abrutis alcoolisés" par le capitaine de gendarmerie Sylvain Duret, ces deux chasseurs sont soupçonnés d'avoir participé, le 14 août dans la soirée, au massacre de 108 oiseaux d'espèces protégées – hérons, ibis, aigrettes –, à une centaine de mètres des premières habitations de Saint-Joachim. Dans ce village aux toits de chaume perdu au cœur du marais briéron, tout le monde se souvient de cette interminable fusillade de vingt minutes, riposte sanglante à l'action des associations écologistes qui venaient d'obtenir du tribunal administratif de Nantes le report de la date d'ouverture de la chasse. Mais personne n'a donné l'alerte. Les cadavres des oiseaux ont été retrouvés deux jours plus tard, par un policier municipal.

"LES PNEUS CREVÉS"

Devant l'insuccès de l'enquête de proximité, le juge d'instruction chargé de l'affaire a ordonné la saisie des armes d'une soixantaine de chasseurs pour les soumettre à une expertise balistique. La percussion de chaque fusil a été comparée à l'empreinte laissée sur les dizaines de douilles recueillies sur place. Trois mois plus tard, "deux armes ont parlé", se réjouit le capitaine Duret. Leurs propriétaires, qui sont restés muets, ont été mis en examen pour "destruction d'espèces animales non domestiquées protégées" puis remis en liberté sous contrôle judiciaire. Pour la justice, c'est la première victoire après une longue série de défaites.

La guérilla des chasseurs briérons, violemment hostiles à toute réduction de leurs périodes de chasse, a en effet commencé dès 1991 avec une embuscade tendue aux agents de l'Office national de la chasse. A six heures du matin, le 21 juillet, un coup de clairon a retenti dans le marais où la chasse n'était pas encore ouverte. Quatre-vingts chasseurs sont alors sortis des roseaux pour prendre en otages trois gardes nationaux, obligés de brûler leurs carnets de contraventions. L'affaire a été classée sans suite. Les gendarmes appelés en renfort sur les lieux se sont vu reprocher par leur hiérarchie d'avoir "provoqué les chasseurs". Au cours des deux années suivantes, les gardes nationaux ont été invités par le sous-préfet de l'époque à ne pas verbaliser les braconniers.

En 1994, un nouveau contrôle a fini sous les coups de crosse, avant que quarante braconniers en colère se mettent à poursuivre les gardes nationaux dans leur poste de contrôle. Assiégés pendant plus d'une heure, les fonctionnaires ont été délivrés par la gendarmerie. Une fois de plus, le substitut du procureur a déploré que les agents de l'ONC aient "troublé l'ordre public". "Pendant des années, les gardes ont dressé des PV qui n'ont jamais eu de suites", rapporte Gérard Descriène, délégué régional adjoint de l'ONC, scandalisé de la "démission de l'Etat devant les chasseurs". Dans le marais, tous ceux qui ne soutiennent pas les chasses sont bientôt considérés comme des ennemis. "D'abord, c'est la barque ou la hutte qui brûle, énumère M. Descriène. Après, c'est le coup de feu sur le bétail, les pneus crevés ou le chien empoisonné."

Au cours de l'été 2000, une série d'incendies a incité le guide Hubert Dugué, ornithologue habitant sur place, membre de la Ligue de protection des oiseaux (LPO), à quitter le marais, écœuré de voir ses embarcations brûler les unes après les autres. Dans la nuit du 22 au 23 août, la maison du Parc naturel régional de Brière est presque entièrement détruite par un incendie. L'année suivante, ce sont des menaces de mort qui sont peintes sur les murs de la mairie de La Chapelle-des-Marais, dont le maire, Jacques Boisson (PS), est accusé d'appartenir à la majorité qui a voté la loi chasse. Les enquêtes n'ont rien donné.

Alexandre Garcia

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 19.12.01