À l’opposé de l’abandon, certains propriétaires fonciers, souvent
à grands renforts de subventions et cédant aux sirènes de revenus
forestiers futurs, se sont lancés dans une arborisation galopante. Suivant la
nature et l’exposition des terrains, sapins, épicéas et mélèzes vinrent
remplacer la riche agriculture montagnarde. Cependant, le tapis herbacé a
rapidement disparu à l’ombre des résineux. La pauvreté du sous-étage ainsi
obtenu ne favorise ni le grand, ni le petit gibier. Bien au contraire, cette
forêt très dense devient souvent l’habitat des prédateurs naturels du petit
gibier de montagne. Ainsi, la martre, typiquement arboricole, ne fait
que progresser, d’autant que dans certains départements des Alpes, elle n’est
pas piégée. Ce refrain des anciens chasseurs revient très souvent dans les
conversations: “après guerre, avec la vente de cinq peaux de martre, on se
payait un beau costume / Et des coqs y’en avait dix fois comme
maintenant ».
Enfin, en troisième lieu, le tourisme hivernal a provoqué une véritable flambée du foncier. Rien de plus naturel que la vente de centaines d’hectares qui, en un seul acte de vente, rapportaient davantage que des siècles de dur labeur. De grandes superficies, autrefois favorables au petit gibier, sont aujourd’hui occupées par des milliers de studios et autres appartements.
Le grand gibier
favorisé
Cette évolution marquante du paysage favorise
particulièrement le grand gibier. Lorsque l’arborisation se fait de façon
naturelle, sa progression en larges taches constitue des boqueteaux très
appréciés des cervidés. Dans ce maillage, où alternent les petits bois et la
prairie, cerfs et chevreuils trouvent la fraîcheur et la tranquillité
du couvert ainsi qu’une nourriture riche et abondante. Mais cette situation ne
dure qu’une ou deux décennies. En effet, lorsque l’aulne vert domine, il
constitue rapidement un milieu trop dense. Devenu impénétrable, ce type de
biotope ne convient, à la rigueur, qu’aux sangliers. Les autres grands
animaux, chamois, chevreuils, cerfs ou mouflons n’en fréquentent que les
bordures.
Au-dessus de la strate des 1 800 mètres, la déprise agricole a d’autres incidences. Les alpages ne sont plus pâturés par les vaches, les moutons ou les chèvres. La fertilisation, maintenue grâce à la fumure naturelle organique, n’existe plus. Comme le montrent les études entreprises par le Cemagref, en l’espace de deux à cinq décennies, l’herbage s’appauvrit, s’acidifie et se décalcifie. C’est le terrain idéal pour le rhododendron. Il envahit alors les pentes pour le plus grand plaisir visuel des promeneurs. Mais, tel Attila, là où le rhododendron passe, tout trépasse ! Les graminées et les myrtilles disparaissent, privant alors les bartavelles, les tétras lyre et les lièvres variables de leur nourriture favorite. D’autre part, la disparition des bouses de vaches entraîne celle d’une multitude d’insectes, si précieux et nécessaires au développement des poussins de galliformes de montagne lors des mois critiques de juillet et d’août. Les chèvres domestiques ont également un rôle très important dans l’écosystème.
Friandes d’arbustes, elles assurent un débroussaillage naturels et des plus efficaces.
Autrefois, les troupeaux étaient multiples, variés et de faibles effectifs. De nombreuses familles se transportaient à la montagne pour les trois mois d’estive. Des centaines de personnes fanaient et entretenaient le milieu. Ce titanesque travail, aujourd’hui quasiment disparu, n’a pas été remplacé. A contrario, dorénavant un seul berger est chargé de surveiller des milliers de moutons. Certains alpages se trouvent même parfois en surpâturage. Les ovidés en surnombre peuvent alors, dans certains cas, piétiner les nids des oiseaux nichant à terre.
Une dégradation préoccupante
Cette lente dégradation du milieu montagnard devient
préoccupante. Dans les années 80-90.la déprise agricole inquiète les
pouvoirs publics. Des prévisions alarmistes prévoient l’abandon de 4 à 6
millions d’hectares de terres agricoles. Le projet Always, lancé cri 1993,
rassemble dix-huit centres de recherche de six pays de l’Union européenne, afin
de mettre à la disposition des agriculteurs de nouveaux systèmes de cultures
d’arbres mieux adaptés à l’environnement et aux exigences du marché.
Cependant, et tel que le stipule l’objectif du projet, “la production de bois
de grande qualité<sur des terrains agricoles en association ou non avec des
cultures ou de l’élevage pose des problèmes de choix des essences, de lutte
contre la végétation herbacée et de protection contre les rongeurs et...
les cervidés”.
Des milliers d’hectares autrefois cultivés sont aujourd’hui plantés soit d’essences à croissance rapide, comme le douglas, qui permet de valoriser la plantation sur une génération humaine, soit d’essences précieuses, tel le merisier ou l’érable sycomore. Et là, les problèmes commencent car ces variétés d’arbres sont très appétissantes pour le grand gibier. Les forestiers demandent alors des plans de chasse visant à réduire de façon plus que significative les populations de grands animaux.
Pour le chasseur la déprise agricole de montagne peut donc conduire à plusieurs cas de figure. Tout d’abord, la friche conquiert de façon anarchique le milieu cultural. Ceci ne provoque pas de réactions antagonistes de la part des propriétaires du foncier, car les zones devenues incultes ne présentent pas d’intérêt financier majeur. Dans cette circonstance, si aucun acteur n’intervient, que ce soit au niveau des collectivités locales ou régionales, le milieu se referme inexorablement. La petite faune de montagne quitte ces territoires et c’est alors toute une chasse qui disparaît au profit d’une autre. Le grand gibier a pris le dessus. Les chiens à courtes quêtes remplacent les chiens d’arrêt et les armes rayées succèdent aux fusils à canons lisses. Parfois, des passionnés réagissent. Au travers d’aides financières apportées par les fédérations de chasseurs, les mairies et les conseils généraux, des travaux très lin-portants de réhabilitation des milieux sont entrepris. Grâce aux broyages de rhododendrons, aux débroussaillements massifs et aux écobuages dirigés, une certaine diversité faunistique peut être maintenue.
Si par contre, les terrains libérés par l’agriculture font l’objet d’une mutation vers une forêt de production, les choses deviennent très compliquées. Il faut concilier l’arrivée en force du grand gibier, facteur potentiel de dégâts, et la venue d’essences souvent appétentes. Les chasseurs n’y sont pas toujours préparés, les propriétaires non plus Chaque partie doit écouter l’autre. On retrouve cette dualité lorsque l’agriculture de montagne se concentre sur des zones où le travail est plus aisé. De nouveaux produits, souvent labellisés et destinés à la consommation apparaissent sur le marché. Les agriculteurs comptent sur un rendement optimum et voient parfois d’un mauvais oeil ce grand gibier concurrent alimentaire supposé des animaux domestiques.
La déprise agricole a déjà provoqué d’énormes changements au niveau des chasseurs montagnards. Le chamois n’est plus le seul grand gibier. Il a fallu appréhender le chevreuil, le sanglier puis le cerf~ Pour les passionnés de petit gibier, les journées de chasse deviennent relativement rares. De plus, lorsque le tourisme ou l’économie locale ne peuvent assurer des revenus convenables, l’exode devient inévitable. Bon nombre de membres de sociétés de chasse n’habitent plus le territoire de celles-ci. Le dialogue avec les acteurs agriculteurs ou forestiers locaux devient alors difficile. Cependant, une mutation des esprits s’est opérée. De plus en plus de groupements d’intérêts agro-sylvo-cynégétiques (GIASC) se créent. Le partenariat ainsi formalisé sous une forme associative fonctionne bien et fait tous les jours ses preuves.
La déprise agricole en milieu montagnard a certes pris de l’ampleur. Néanmoins, le chasseur peut trouver là une véritable occasion de participer et de s’intégrer au changement.
Dans certains cas il peut même en devenir le moteur. L’avenir sera une chance pour le grand gibier, un espoir modéré mais réel pour le petit gibier, et un vrai défi pour les chasseurs.
L’observatoire des
galliformes de montagne
Conséquence de l’évolution du milieu montagnard, l’observatoire des galliformes de montagne (0CM) est chargée de coordonner et de synthétiser l’ensemble des données recueillies sur le petit gibier de montagne. Les fédérations départementales de chasseurs, I’ONCFS, les parcs nationaux et les parcs naturels régionaux, tous membres de l’observatoire, assurent la collecte des informations. L’OGM a une emprise nationale et ses domaines d’activité relèvent de cinq grands thèmes : le suivi de l’aire de répartition des espèces, la cartographie précise des habitats, le suivi des effectif,, le suivi des prélèvements et l’inventaire des actions de préservation des différentes espèces. Tout ceci se traduit concrètement par les différents comptages de printemps et d’été, le dépouillement des carnets de prélèvement et la mise en place des aménagements de terrain. L’ensemble des données est traité par une importante logistique informatique articulée autour d’un système d’information géographique (SIG). De la collecte des informations au financement de certains aménagements importants, en passant par les divers comptages. Les chasseurs sont donc totalement impliqués dans l’observation de l’évolution du milieu montagnard.
Daniel Girod