Les conseils régionaux pourraient gérer les réserves
naturelles
LE MONDE | 07.01.02 |
L'AMENDEMENT
est passé au-dessus des députés à la vitesse d'un gypaète barbu. Fin
juin 2001, dans le cadre de la discussion du projet de loi sur la
démocratie de proximité, l'Assemblée nationale a adopté d'un coup d'aile un
ajout gouvernemental qui organisait la décentralisation des réserves
naturelles. Les régions se voyaient confier ces sites protégés.
Pris au
dépourvu, les gestionnaires de ces lieux, majoritairement des associations de
protection de la nature, tentent aujourd'hui d'organiser la contre-offensive,
alors que le texte doit être discuté, mardi 8 janvier, par le Sénat. "L'Etat
s'est dessaisi sans aucune concertation", proteste Luc Barbier,
président de Réserves naturelles de France (RNF). L'association fédère les
trois cents réserves, qui totalisent 550 000 hectares et sont
fréquentées, chaque année, par quatre millions de visiteurs.
RNF
redoute que la décentralisation remette en cause la cohérence nationale du
réseau. Il se crée chaque année cinq nouvelles réserves, l'objectif étant de
protéger un échantillonnage des espaces remarquables en France. Selon les
spécialistes, il en manque encore une bonne centaine pour recouvrir
harmonieusement le territoire. La décision de classement incombera désormais
aux conseils régionaux, qui pourront d'ailleurs déclasser ensuite les sites
qu'ils ont élus. "Certaines joueront le jeu. Mais d'autres ne feront
rien pour protéger des zones remarquables", estime M. Barbier.
Les servitudes
à respecter dans le périmètre des réserves naturelles étaient jusqu'alors
définies par l'Etat : autorisation ou non de chasser, de camper, voire de
construire. Elles seront désormais fixées par délibération du conseil régional.
Les protecteurs de la nature craignent que les élus ne soient tentés de les
assouplir au nom du développement économique ou d'intérêts électoraux.
MULTIPLES
CONFLITS D'INTÉRÊTS
Les
exemples sont multiples de ces conflits d'intérêts. L'aménagement routier de
l'accès à la grotte Chauvet devra traverser la réserve des gorges de l'Ardèche.
Au Havre, la réserve de la baie de Seine bride l'extension du port. Dans
le Languedoc-Roussillon, certains étangs classés aiguisent l'appétit de
promoteurs touristiques. En Savoie, il pourrait être tentant d'aménager des
pistes de ski sur des pentes préservées. Dans le Pas-de-Calais, la réserve du
Platier d'Oye est contestée depuis des années par les chasseurs ; il en
est de même de la réserve de Camargue. En Guyane, les 200 000 hectares
protégés pourraient devenir la proie des orpailleurs. Le gouvernement se veut
pourtant rassurant et invoque les garde-fous qui accompagnent ce transfert de
compétence. Le préfet aura toujours un droit de regard sur le destin des
réserves. Il pourra même exiger le classement de zones qu'il estime
remarquables. Mais RNF craint que le représentant de l'Etat ne veuille ou ne
puisse contrecarrer les volontés des assemblées territoriales. L'association
plaide pour que les réserves naturelles nationales soient maintenues, quitte à
ce que les régions se voient également conférer le droit de créer, si elles le
souhaitent, leurs propres sites protégés.
Un
dernier point, qui n'est pas clairement abordé par le projet de loi, concerne
le financement des réserves, évalué à 19 millions d'euros
(120 millions de francs) par an. Il est actuellement assuré pour moitié
par l'Etat, pour moitié par des dons et des subventions de l'Europe ou
d'assemblées territoriales. Après avoir transféré les compétences, l'Etat
pourrait être tenté de se débarrasser également de la charge financière.
Benoît
Hopquin