Qui veut tuer
la chasse ?

La chasse, le débat qui perturbe les campagnes

Entre enjeux électoraux et racolages en tous genres, le débat sur la chasse s’éloigne de son vrai sujet : l’environnement. De l’extrême chasse aux partis des zoolâtres, tous les acteurs de ce combat de passionnés sont à couteaux tirés.

Quelques jours après la publication, le 1er août dernier, des décrets d’application de la Loi Chasse de juillet 2000, il a suffi que deux tribunaux administratifs donnent raison à la Ligue de protection des oiseaux (LPO), contre des arrêtés préfectoraux autorisant l’ouverture de la chasse au gibier d’eau avant le 1er septembre, pour que s’enflamme la Brière.

Le texte, conçu et accouché dans la douleur sous l’égide de Dominique Voynet, n’aura pas rempli ses fonctions : ni celle de poser les bases d’une chasse moderne, ni celle de calmer les esprits et de mettre fin aux débats grâce auxquels Chasse, pêche nature et tradition (CPNT), le parti des chasseurs, a pu faire le plein de voix (6,7 %) aux Européennes de 1999.

Lobbying à la veille des échéances électorales

À quelques mois des échéances présidentielles et législatives, le réveil de cet électorat contestataire inquiète tout autant Lionel Jospin que Jacques Chirac ; il n’est en effet pas exclu que le parti de Jean Saint-Josse présente des candidats députés. Dans ce climat délétère, des poignées d’irréductibles ont pris le parti de l’illégalité, avec parfois la bénédiction implicite de leurs responsables. La Brière, comme d’autres estuaires, a donc été, une fois de plus, le théâtre de débordements, réprouvés par l’immense majorité des chasseurs. À l’issue des actes publics de braconnages comme après le massacre d’une centaine d’oiseaux protégés, la Fédération des chasseurs de Loire-Atlantique a reçu une riche correspondance tant téléphonique qu’écrite.

L’« extrême chasse », comme est qualifiée la frange d’irréductibles à laquelle sont attribués les actes, se marginalise.

Loin d’être manichéen, le débat cynégétique ne se limite en effet pas à une opposition entre chasseurs et anti-chasse. Au sein même des disciples de saint Hubert, les dissensions sont nombreuses. Stigmatisée par le sketch des Inconnus, la distinction « bons chasseurs, mauvais chasseurs » existe bel et bien.

À la tête de la croisade pour une réforme des pratiques cynégétiques figure l’Association nationale pour une chasse écologiquement responsable (ANCER). Jean Houeix, cadre retraité basé à Malansac, dans le Morbihan, a présidé avec Simon Charbonneau à la fondation de ce mouvement élitiste, qui prône notamment l’interdiction des lâchers de gibiers destinés au tir et préconise des périodes de chasse restreintes, adaptées aux périodes de migration et de reproduction. Selon lui, c’est CPNT qui entretient le désordre en refusant les compromis, «parce que ses dirigeants ont intérêt à ce que le mécontentement des chasseurs enfle, c’est leur fond de commerce». Pour sa part, l’ANCER fait partie de France Nature Environnement (FNE), aux côtés de la célèbre LPO. Il est ainsi le seul mouvement de chasseurs à figurer au milieu des principales associations écologistes et est devenu pour bon nombre l’unique interlocuteur.

Opportunisme ou conviction, le discours anti-chasse, longtemps virulent, s’est apaisé et les « écolos » se disent prêts à composer. Le ROC, lui-même, ne s’intitule plus dorénavant « Rassemblement des opposants à la chasse » mais « Ligue pour la préservation de la faune sauvage et la défense des non-chasseurs », ce qui ne l’empêche pas de clamer le droit à la vie des animaux et l’horreur de leur meurtre. Restent les mouvements définitivement anti-chasse, tels que l’association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS).
JeanHoueix, co-fondateur de l’Ancer, milite pour une chasse responsable et respectueuse de l’environnement.

Quoi qu’il en soit, FNE a établi une charte à laquelle chacune des associations adhérentes souscrit et il n’y est pas question d’abolir la chasse. Nonobstant, CPNT, les fédérations départementales et nombre des associations de chasseurs refusent de composer sur les bases posées par les mouvements écologistes. Principale raison invoquée pour justifier ce repli : la méfiance. Selon Jean-Louis Bernié, député européen CPNT et directeur de la Fédération des chasseurs de Loire-Atlantique, «les anti-chasse avancent à petit pas, en rognant de part et d’autres sur les dates d’ouvertures, puis sur les zones de chasse, puis sur les statuts de associations et ils ne cesseront que lorsqu’il ne restera plus un fusil dans les bois». L'élu des chasseurs vitupère contre les Verts, la LPO et l’ANCER, «fondée par un ancien de Génération Écologie».
Jean-Louis Bernié, député européen CPNT.

Pratiquement, son parti estime avoir été trompé. Il y a encore cinq ans, la chasse au gibier d’eau était ouverte du 14 juillet à fin mars. Au vu de constatations écologiques, les chasseurs avaient convenu de raccrocher les fusils autour du 28 février, convaincus que ce serait le dernier des sacrifices qui leur serait imposé. «Puis voilà qu’aujourd’hui on raccourcit à nouveau nos périodes» se plaint le député Bernié, «alors nous, on n’a plus confiance et on refuse de céder», tranche-t-il.

À l’appui des nouvelles restrictions : le rapport Lefeuvre, réalisé dans l’urgence en 1999, à la demande de Dominique Voynet, pour préparer la Loi chasse. C’est un pavé de 150 pages qui tente d’établir un bilan de l’avifaune migratrice, de ses périodes de reproduction et de migration, ainsi que de l’état de conservation des espèces. Ses conclusions sont contestées par les chasseurs de gibier d’eau, contre-rapport en main (en fait, un fascicule de 32 pages, bien mince au regard du document commenté). Il reste que de nombreux spécialistes dénoncent tant les méthodes que les fondements scientifiques du rapport. Une nouvelle contre-étude serait donc en préparation.

Les plombs de chasse responsables du saturnisme

Ces arguments d’ornithologues peuvent paraître oiseux. Ils sont en fait fondamentaux, puisqu’il s’agit là d’appliquer la directive européenne 79 / 409 de 1979, dite « directive Oiseaux », qui stipule que les États doivent garantir la conservation des espèces migratrices au sein de la Communauté et notamment qu’il ne faut pas les chasser en période de reproduction.
La future parution d’un rapport de l’ONG WI (Wetland international) devrait relancer le débat sur les liens entre la dispersion des plombs de chasse dans les zones humides et le saturnisme.

Le dossier gibier d’eau serait incomplet sans la polémique autour de l’utilisation du plomb employé dans la fabrication des cartouches de chasse. Selon plusieurs études, les plombs tirés au dessus des étangs et des marais continueraient en effet de tuer du fond de l’eau. Les canards qui les ingèrent en même temps que les gravillons qu’ils prélèvent dans la vase courent de graves risques de saturnisme, une maladie mortelle. Certains chasseurs contestent cette analyse. D’autres sont d’ores et déjà prêts à employer des munitions dépourvues des métaux incriminés. Wetland international (WI), ONG qui étudie depuis 1991 les phénomènes de saturnisme liés à la dispersion des plombs de chasse, devrait bientôt relancer ce débat avec la publication de son rapport.

Il existe bien d’autres points de discorde au sujet de la chasse : Natura 2000, le gibier de tir, les enclos de chasse et le partage de la nature avec les non chasseurs… Côté CPNT, sur tous ces fronts, les positions sont fermes. Il n’est d’ailleurs pas question de discuter avec un ministre issu du parti des Verts, accusé de faire de l’anti-chasse son fond de commerce. Comme ils avaient diabolisé Dominique Voynet, les amis de Jean-Louis Bernié vilipendent le Rennais Yves Cochet, son successeur. Savent-ils que le « Monsieur Chasse » des Verts, conseiller de l’ancienne ministre sur le sujet, est lui-même chasseur ?

Photos DR

par Ludovic ROBET