Mais qui sont les vrais écologistes ?

3 personnes interrogées par La Provence

 

Les Verts et le mouvement Chasse Pêche Nature et Tradition (CPNT) sont à couteaux tirés. En cette période électorale, leur chasse aux voix les met forcément en concurrence sur des territoires communs. Ils se retrouvent donc, par la force des choses, en conflit.

 

Indéniablement, ils partagent la même préoccupation : défendre l'environnement, c'est un truisme, n'a jamais été aussi menacé depuis l'apparition de l'homme sur Terre. Mais leurs moyens pour atteindre ce but, leur approche du problème, sont radicalement différents.

 

Pour traiter les maux d'aujourd'hui, les uns se projettent dans l'avenir, dans la réglementation d'une construction politique nouvelle, l'Europe. Les autres puisent dans le passé, l'histoire de leur terroir, dans leurs racines. D'ou la querelle en paternité, chacun revendiquant d'être "vraiment" écologiste, et accusant l'autre de charlatanisme.

Reste que, à la lecture de ces entretiens avec Jean-Marie Scifo, de CPNT, et de Daniel Cohn-Bendit, conscience politique des Verts, on peut se demander si finalement, il n'y a pas plus de points communs que de pommes de discorde entre eux.

 

 

Verts et Chasseurs n'ont pas le monopole de l'écologie

 

Interview de Alain Gérard SLAMA par Dominique Arnoult

 

 

La Provence : Si la sécurité n’est pas une question de Droite ou de Gauche, on peut se demander à qui appartient l'écologie ? De quel courant, de quelle sensibilité politique est-elle la plus proche ?

Alain-Gérard Slama: " Il y a autant de manière de défendre l'environnement que de sensibilités politiques. Il y a des mouvements traditionalistes et conservateurs du type Chasse Pêche Nature et Tradition. Ce sont, d'une certaine manière, les héritiers de ceux qui sous le régime de Vichy prônaient le retour à la terre. Ces mouvements s'appuient sur le mythe de la terre nourricière. Les gens qui y adhèrent sont convaincus de représenter les vraies valeurs de la paix, de la nature qu'ils n'ont pas le sentiment de détruire. Il en va ainsi de la chasse inscrite dans l'ordre des choses, de la nature.

D'autres mouvements écologistes défendent au contraire l'idée que la gestion du monde appartient à l'homme et que ce dernier peut dilapider et détruire tout comme il peut protéger et sauvegarder. Ce qui implique une gestion des ressources, un autre modèle de société, l'anti-consumérisme, une remise en cause du système capitaliste. "

 

- C'est la philosophie des Verts...

-" Oui, c'est une philosophie qui a la prétention d'assurer la relève du marxisme. Les Verts croient en une nouvelle révolution qui est en train de chercher sa voie. Ce n'est pas très étonnant si Alain Lipietz, qui est un doctrinaire, a d'abord été choisi comme candidat à la présidentielle. "

 

- Un échec qui a vite été sanctionné. Qu’est-ce qui ne convenait pas chez lui ?

- " Justement son côté trop intellectuel. C'est un excellent économiste qui pensait convaincre en tenant un discours très rationnel et en procédant à des démonstrations économiques rigoureuses. Son échec est à rapprocher de celui de Waechter. "

 

- Peut-on parler d'autres sensibilités encore ?

-" Il y a effectivement une troisième sensibilité écologiste, de type capitaliste, celle exprimée sous Pompidou lorsqu'il a crée le premier ministère de l'Environnement en 1971. Son idée force est qu'il y a nécessité pour le système capitaliste de réparer ses propres nuisances et qu'il y a une place pour une économie de la sauvegarde et de la réparation. "

 

- Qui incarne aujourd'hui cette tendance ?

- " Personne; même si cette théorie de l'écologie de l'ordre a été assez largement récupérée par Corinne Lepage. On retrouve aussi un peu cette idée dans le discours socialiste. "

 

- Et duquel de ces trois grands courants pensez-vous que les Français se sentent le plus proches ?

- " D'aucun. C'est dans l'écologie municipale qu'ils se retrouvent le mieux. Ils vont vers celui qui prend l'initiative. Aujourd'hui, lorsque nos concitoyens ont quelque chose à défendre, ils s'organisent en association. Généralement, ils finissent par être très déçus car pour obtenir gain de cause il faut d'énormes moyens qu'ils n'ont pas. Les procès coûtent très cher et n'aboutissent pas forcément. C'est à ce moment-là qu'ils votent écologiste, par protestation contre l'inefficacité du système, son incapacité à les protéger. "

 

- Il n'y a donc pas de véritable adhésion...

-" Les mouvements écologistes sont voués à être groupusculaires. Un peu comme le PC, ils remplissent une fonction tribunitienne. Ce sont avant tout des mouvements de contestation populaire. Les écologistes se coulent parfaitement dans cet objectif. En réalité, il en va de l'écologie comme de la Défense nationale. Tous les ministères, tous les partis politiques ont vocation à répondre aux grandes préoccupations que sont la peur de la rareté ou encore la crainte de la destruction de la planète. De ce point de vue, l'écologie n'a pas de vocation particulière à arriver aux affaires puisqu'elle appartient à tous les ministères, à toutes forces politiques. "

 

- Autant dire que vous remettez en cause l'existence même d’un ministère de l'Environnement...

-" Un ministre de l'Environnement est obligé de faire des compromis. Du coup, il perd sa capacité de contestation. Les écologistes doivent rester à l'extérieur du système ".

 

Alain-Gérard SLAMA, professeur à Sciences Po-Paris, éditorialiste au Figaro, a notamment publié "Essai sur l'ordre moral contemporain" (Grasset) et "La régression démocratique" dont une nouvelle édition sort chez Pion.

 

 

"Des points communs entre chasseurs

et écologistes"

 

Interview de Daniel Cohn-Bendit par Thierry Noir

 

 

La Provence : Vous avez demandé au candidat des Verts, Noël Mamère, d'étonner les Français. Est-ce que, jusqu'à maintenant, il vous a étonné ?

Daniel Cohn-Bendit: " Oui, il m'étonne par sa maîtrise des dossiers, sa bonne connaissance des enjeux fondamentaux qui fédèrent les Verts : l'environnement, le principe de précaution, la nouvelle citoyenneté, la globalisation. Noël Manière est bien parti, il a de bons sondages dans lesquels il est crédité de 6 ou 7 % d'intention de vote. Les Verts faisaient 3,5 % aux dernières élections, donc c'est bon. "

 

C'est une satisfaction sans restriction ou, sur certains sujets, sa façon de les aborder vous déçoit-elle ?

D. C-B: " Je ne dis pas qu'il me déçoit, pour la bonne raison qu'il n'a pas encore développé tous ses thèmes. Mais il doit dire plus fort que si nous voulons un nouveau monde, la porte de sortie c'est l'Europe. Le développement durable et là régulation de la mondialisation ne sont possibles que si l'Europe prend ces dossiers à bras le corps. Seule l'Europe a la masse critique pour faire le poids face au néo-libéralisme des États-Unis. "

 

A côté des Verts, qui ont un projet global de société, d'autres listes se réclament de l'écologie. Dans cette élection présidentielle, la présence d'un candidat de Chasse Pêche Nature et Tradition est-elle légitime ?

D. C-B: " Oh vous savez, moi, je ne suis pas un censeur, un père fouettard qui va dire qui peut et qui ne peut pas se présenter. Si les chasseurs trouvent les 500 signatures, qu'ils aient un candidat à la présidentielle, s'ils le souhaitent. Après, ce sera aux électeurs de décider. "

 

Mais sur quels critères un électeur de sensibilité écologiste se prononcera-t-il ? Qui des Verts ou des chasseurs est le meilleur défenseur de l'environnement ?

D. C-B: " Les chasseurs ont un intérêt vital à ce que l'environnement rural soit protégé. Car là vit leur gibier, Il y a chez les chasseurs une réelle volonté de protection de la ruralité, je ne le nie pas. Seulement, ce que les chasseurs ne comprennent pas, c'est que les animaux font partie intégrale de l'environnement. Et qu'il y a entre la chasse et le carnage une ligne Maginot qu'il ne faudrait pas dépasser, mais qu'une majorité de chasseurs outrepasse. Le débat est là. Sachant qu'il y a des chasseurs écolos qui essayent de pratiquer une chasse durable. "

 

A vous entendre, on a le sentiment que les Verts ne sont pas anti-chasse a priori ?

D. C-B : " Moi d'abord, je ne suis pas les Verts. Mais, effectivement, je ne suis pas un "anti-chasse" a priori. Je crois cependant qu'il faut une autre réglementation, une véritable "auto réflexion" de la part des chasseurs. Ce qui manque cruellement à l'heure actuelle. "

 

Les Verts sont d'ardents défenseurs du principe de subsidiarité, qui veut que les décisions soient prises au plus près du terrain. Mais pourtant en matière de chasse, ils réclament une réglementation européenne...

D. C-B: "  Oui, les Verts sont favorables au principe de subsidiarité. Mais les oiseaux migrateurs traversent toute l'Europe. Les dates qui réglementent leur chasse doivent donc être établies au niveau européen, et pas uniquement français. Il faut une logique de chasse qui soit la même dans toute l'Europe ".

 

Mais lorsqu'un chasseur vous dit que telle méthode de chasse fait partie de sa culture, qu'est-ce que vous lui répondez ? Que cette culture peut, doit disparaître ?

D. C-B: " Non, pas du tout. Je comprends que l'on défende un enracinement culturel. Même si cela ne me concerne pas personnellement car je ne suis pas chasseur. Mais je côtoie des chasseurs et je n'ai aucune haine à leur encontre. Non, je crois qu'il faut trouver un modus vivendi, qui passera par une réglementation. Mais ne nous leurrons pas. Toute réglementation nouvelle est difficilement acceptée. Et il n'y a pas, à cet égard, de différence entre les chasseurs français et les automobilistes allemands.: quand on leur a dit qu'il faudrait limiter la vitesse à 120 km/heure, ils ont fait une crise de nerf. C'est dans la nature humaine. "

 

A vous entendre, on dirait que vous avez plus de points communs que de divergences avec les chasseurs ?

D. C-B. : " Ce n'est un secret pour personne, je m'entends très bien avec Saint-Josse. Il n'y a pas d'animosité entre nous. Souvent, je ne suis pas d'accord avec sa conception de la chasse. Mais quand on discute de la ruralité, il y a des points en commun. "

 

Figure de proue de Mai 68, Daniel Cohn-Bendit est député européen Vert.

 

 

"Le pire chez les Verts, c'est leur carriérisme"

 

Interview de Jean-Marie Scifo

 

 

La Provence: Entre les chasseurs dont vous êtes et les Verts, la bataille fait rage. Pour vous, qui sont les vrais écologistes ?

- Jean-Marie Scifo : " Nous bien sûr, les chasseurs. Nous le prouvons tous les jours sur le terrain. Il n'y a qu'à voir comment nous aménageons nos territoires. Nous n'avons pas attendu l'arrivée des Verts pour faire de l'écologie. Sans nous, que serait la Camargue et maintenant on voudrait nous voler ces territoires que nous avons protégés "...

 

- Elu à Arles sous l'étiquette Chasse Pêche Nature et Tradition, vous soutenez un candidat à la présidentielle qui a fait de la ruralité son cheval de bataille. Cela signifie-t-il que votre combat s'arrête aux portes des villes ?

" Absolument pas ! Au contraire. Aujourd'hui 80 % des gens s'entassent dans les villes. Cette surpopulation entraîne des dérives dans les banlieues. Alors, inversons la tendance. Faisons en sorte que les gens qui vivent à la campagne puissent y rester et que d'autres s'y installent. Si la population revient, les commerces, les services suivront. Nous, ce que nous voulons, c'est partager l'espace. C'est faire de l'aménagement du territoire. Si l'on désengorge les villes, il y aura moins de circulation, moins de pollution. Vous voyez que notre discours est cohérent ".

 

- Quelle est votre position sur des thèmes chers aux Verts comme le nucléaire ?

" Le nucléaire tel qu'il se pratique en France, avec des normes de sécurité très strictes, ne nous dérange pas. Pour remplacer une seule centrale nucléaire, il faudrait 15 000 éoliennes, multipliez par le nombre d'installations... Il faut être réaliste et arrêter de faire peur aux gens ".

 

- C'est ce que vous reprochez aux Verts, sans compter la question de la chasse qui vous divise tant...

" Les Verts, on en parle beaucoup mais on voit peu de résultats. Sans les socialistes, ils n'existeraient pas. Ce que nous n'aimons pas chez eux, c'est leur côté carriériste. Chez nous, il n'y a qu'un mandat électif, chez eux on peut cumuler. Et puis quel bilan ! Ils ont bloqué la liaison Rhin-Rhône, le ferroutage ce n'est pas pour demain... Vous trouvez que c'est digne de gens qui se réclament de l'écologie ! "

 

- Ils ont tout de même fait leur place...

" Disons qu'ils ont bénéficié de circonstances favorables. Quand il y a dès accidents comme Tchernobyl, des pétroliers qui s'échouent, des affaires comme celles de la dioxine ou de la vache folle et que l'on s'en empare, c'est normal que l'on touche l'opinion. C'est de la malhonnêteté intellectuelle ".

 

- Mais vous aussi vous pourriez aborder ces thèmes. Pourquoi vous contenter de palier des problèmes de chasse ?

" Mais nous ne parlons pas que de la chasse. Nous avons six députés européens, des conseillers régionaux, des conseillers généraux. La chasse n'est qu'une question parmi d'autres. Je vous l'ai dit, nous sommes des vigies du monde rural. Il y a des tas d'autres sujets qui nous préoccupent : les menaces qui pèsent sur les courses camarguaises, la corrida, l'agriculture intensive... Nous voulons être proches des citoyens. Nous voulons défendre leurs intérêts. Rien à voir avec les Verts qui, pour les législatives, demandent plus de 50 % de circonscriptions éligibles parce qu'ils veulent constituer un groupe à l'Assemblée ".

 

Propos recueillis par D.A.

Jean-Marie Scifo est président du groupe cynégétique arlésien et conseiller municipal d'Arles sous l'étiquette

Chasse, Pêche, Nature et Tradition. Il devrait être candidat aux législatives.